Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Il y a beaucoup de malades, docteur ?

Voilà une question que nous entendons souvent autour de nous. A l’heure actuelle peu de personnes ne sont pas malades, puisque selon la définition de l’OMS  : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

Cette définition part d’une bonne intention, celle qui considère que l’état de santé des individus ne dépend pas que des soins médicaux, mais aussi de décisions socio-politiques. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et une des dérives de cette définition est qu’elle aboutit a contrario à une surmédicalisation de la vie.

L’OMS aurait pu se contenter de définir la santé comme un état de bien-être, déjà difficile à évaluer en soi. Mais l’adjectif « complet » perturbe la donne : à partir de quel moment peut-on dire qu’un état de bien-être est complet, que tous les besoins d’un individu sont totalement satisfaits ?

Les migrants qui fuient la guerre ou la famine sont persuadés que nos pays occidentaux sont un havre de bien-être, ce que démentiront les personnes les plus précarisées de nos régions. Il fut un temps où l’on parlait de « bonne santé » (c’est encore ce que l’on se souhaite au Nouvel An) ou de « mauvaise santé ». Mais si la santé est un état de complet bien-être, elle n’est plus bonne ou mauvaise : elle est ou elle n’est pas.

Et c’est ainsi qu’au lieu de se limiter à parler de droits aux soins pour maintenir un bon état de santé, on en vient à parler de droit à la santé, avec un capital santé à préserver, voire même à augmenter comme tout capital qui se respecte.

Le droit à la santé devient une quête éperdue de mieux-être qui entraîne (du moins dans nos civilisations occidentales favorisées) un glissement des frontières entre le supportable et le non supportable. En pratique de médecine générale, on constate cela au quotidien dans la diminution de la tolérance pour certains mal-être auparavant acceptés, par exemple les phénomènes liés au vieillissement, mais aussi la fatigue liée aux activités. Paradoxalement, ce sont les personnes habitant les états où le système de santé est le mieux développé qui se plaignent le plus.

Dans ce contexte, nous médecins ne pouvons pas nous limiter à soigner seulement les maladies. Nous devons dépister et prévenir tous les facteurs de risque qui limitent le droit à la santé, c’est-à-dire l’accès au bien-être complet. Recommander aux patients un régime de vie et un comportement adapté aux menaces individuelles qui pèsent sur eux doit être au centre de nos interventions. Nous nous retrouvons ainsi à jongler avec les statistiques autour des paramètres vitaux, le plus souvent chiffrés de nos patients : l’âge, la tension artérielle, le poids, la fréquence cardiaque, le sacro-saint cholestérol, le tabagisme exprimé en années-paquets, le nombre d’unités d’alcool consommé… afin d’estimer les risques de maladies à prendre en charge, risques que l’on finit par confondre avec les maladies.

Cette conception d’un droit à une santé indéfiniment perfectible est frustrante tant pour les patients qui ont l’impression que ce droit n’est pas respecté comme il le faudrait et pour les médecins qui ont toujours l’impression de n’en faire jamais assez pour des patients de plus en plus exigeants, sans compter nos dirigeants qui oublient que le coût de ce modèle de santé est indéfini et imprévisible.

« Il y a beaucoup de malades, docteur ? » Trop, dès lors que comme l’écrivait Ivan Illitch : « l’obsession de la santé parfaite est devenue un facteur pathogène prédominant »

(publié sur http://www.lejournaldumedecin.com/actualite/il-y-a-beaucoup-de-malades-docteur/article-opinion-34169.html)

 

 

 



11/05/2018
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