Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Mes lectures


Un roman initiatique à l'histoire de l'art

Les yeux de Mona de Thomas Schlesser (Editions Albin Michel)

J’ai découvert ce livre par une amie qui était en train de le lire. J’ai été intriguée par ce qui m’a semblé une incongruité entre le titre de l’ouvrage Les yeux de Mona et  l’illustration de la jaquette de couverture. Mona, je ne sais pas vous mais moi, Mona évoque irrésistiblement Mona Lisa, la Joconde. Or  la couverture affiche un agrandissement des yeux de La jeune fille à la perle de Vermeer !  Mon amie m’a brièvement expliqué le sujet du livre qu’elle n’avait pas encore terminé.  

Mona, une petite fille de 10 ans, est victime un jour d’une perte brutale de la vision. On imagine le drame pour l’enfant et pour la famille. Cette cécité s’avère heureusement transitoire, Mona récupère la vue de manière aussi inexplicable qu’elle l’avait perdue.  Mais faute d’en connaître la cause, l’ophtalmologue prévient les parents du risque que ce problème revienne et peut-être même de manière définitive. A défaut de traitement tant curatif que préventif, une psychothérapie est prescrite, pour aider l’enfant à assumer ce qui risque de lui arriver et peut-être aussi pour tenter de trouver une origine psychologique au problème.  C’est là qu’entre en jeu le grand-père.  Il décide de s’occuper de trouver un pédopsychiatre et d’y conduire l’enfant. Mais sa démarche est tout autre. Si Mona doit perdre la vue,  il est important, pense son grand-père qu’elle puisse se constituer une banque d’images de chefs d’œuvres qui éclaireront sa vie.  Les consultations psychiatriques seront remplacées par une visite par semaine dans un musée.  Le récit se déroule à Paris. Toutes les semaines pendant un an, le grand-père emmène la petite Mona au Louvre, puis au Musée d’Orsay, et enfin au Centre Georges Pompidou (Baubourg). Et chaque semaine, la visite se limite à une seule œuvre d’art.  Ce roman est en fait une initiation à l’histoire de l’art et à l’analyse artistique. Thomas Schlesser est historien d’art, il sait de quoi il parle et à travers les propos du grand-père mais aussi par le regard de Mona, il en parle bien. 52 œuvres sont décrites de manière tellement détaillée qu’on les voit même s’il n’y  en avait pas de reproduction dans la jaquette de couverture dépliable. Elles sont mises en perspective par rapport à la vie de l’artiste et  l’histoire de la période où elles ont été créées.  Henri, le grand-père et cicerone de Mona parle à cette dernière comme à une adulte. Et les commentaires de l’enfant sont élaborés, peut-être un peu trop diront certains pour une enfant de cet âge, mais les réflexions d’enfant ne sont infantiles que lorsqu’on infantilise l’enfant.  J’ai apprécié le choix des œuvres et des artistes fait par l’auteur.  L’histoire évolue dans trois musées parisiens donc le choix se porte forcément sur des œuvres contenues dans ces trois musées.   L’auteur n’oublie pas les artistes féminines et plutôt que les tartes à la crème de l’histoire de l’art, il présente des œuvres peut-être pas toutes connues pour un public non averti et il fait une bonne place à l’art contemporain, installation et performances. Et les 52 œuvres apportent autant de leçons de vie à Mona qui trouve les liens qui existent entre elles à travers le temps et le monde. 

En parallèle de la visite des musées, on suit Mona dans sa vie quotidienne, ses relations familiales, son père brocanteur alcoolique, sa mère trop intrusive, ses amies, ses premières amours et un secret autour de la mort de sa grand-mère.  Et que deviendront les yeux de Mona ? Je ne vous en dirai pas plus.

Je je n’ai pu m’empêcher d’y trouver une ressemblance avec Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, un roman initiatique à la philosophie à travers une aventure vécue par une fillette.

 

Un livre passionnant et que l'on ne doit pas hésiter à relire.

 


04/09/2024
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Découvertes littéraires du mois d'août

Les sept morts d'Evelyn Hardcastle de Stuart Turton : un château délabré dans une campagne anglaise humide et maussade, une famille sinistre, des invités glauques pour un mariage arrangé pour sauver le château de la ruine, voilà le décor et les acteurs de cette intrigue qui semble simple au départ : un des invités a pour mission d'empêcher l'assassinat de la future mariée et pour cela découvrir le meurtrier avant qu'il commette son acte. Oui, mais toute ressemblance avec un roman d'Agatha Christie s'arrête là car l'intrigue nous plonge dans un univers fantastique. L'invité est condamné à revivre la même journée tant qu'il ne trouve pas le meurtrier potentiel. Et l'histoire se complexifie puisque le principal protagoniste recommence chaque journée dans la peau d'un invité différent et il avance en connaissant déjà ce qui s'est passé ou pas ... Tout cela est raconté à la première personne, ce qui rend la lecture ardue. Les meurtres s'enchaînent, poison, arme blanche, arme à feu, suicide, et l'ambiance devient de plus en plus tendue, lourde menaçante.  Un concept original et audacieux qui mêle thriller et fantastique.  A découvrir mais à lire idéalement d'une traite pour ne pas se perdre dans les méandres de cette intrigue sombre et tortueuse.

 

L'impossible retour d'Amélie Nothomb :  on part avec l'auteur et une de ses amies au Japon. C'est un retour pour l'auteur, un retour sur les lieux où elle a passé plusieurs années de sa vie.  Le récit d'une reconnexion avec ce pays qui a marqué sa vie,  le pays de son enfance, où elle a aimé, mais où elle a aussi vécu un terrible échec. Elle fait découvrir le Japon à une amie, mais malgré tout l'amour qu'elle a pour ce pays, elle n'arrive pas à imaginer pouvoir s'y installer. "Tout retour est impossible, l'amour le plus absolu n'en donne pas la clef".  Mais j'ai adoré visiter le Japon sous la plume d'Amélie, son style incisif et plein d'émotion, son humour, son sens de la dérision, la nostalgie qui se dégage à chaque pas et chaque page de ce voyage.  On goûte les saveurs de la cuisine japonaise, le parfum du thé, on entend le silence des montagnes et puis le bruissement de la capitale.   L'amour qu'elle voue à ce pays est contagieux et on envie Pep, l'amie d'Amélie qui a eu la chance de l'avoir comme guide pour découvrir l'âme du Japon. 

 

La mort en face de Philippe Boxho : j'ai acheté les trois livres de ce confrère par curiosité pour comprendre la raison de l'engouement public pour ses ouvrages et puis parce que la médecine légale m'a toujours passionnée. Mais cet achat est une déception.  Il ne s'agit que d'une succession d'anecdotes telles que les médecins aiment s'en raconter entre eux, quelle que soit leur spécialité. En tant que médecin, je sais que nous avons tous des histoires plus ou moins bonnes à raconter. Ce livre n'est même pas dans une vraie vulgarisation scientifique, les explications sont vraiment réduites. Je trouve qu'on n'y apprend pas grand chose.  Le style manque de finesse, l'auteur écrit comme il parle. Et ne parlons pas des multiples clichés et lieux communs qui balisent les différents récits.  Mais il faut voir la vérité en face : le public aime la banalité, les lieux communs, les clichés et les textes sans style, sans compter l'esprit de voyeurisme.  

 


30/08/2024
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Derniers livres lus

 

Mes quatre dernières lectures :

 

L'allègement des vernis de Paul Saint Bris : doit-on laisser les œuvres d'art vieillir, se patiner ou faut-il leur garder 'leurs couleurs originelles et donc les restaurer ? Et quand il s'agit de La Joconde, a-t-on le droit de toucher un monstre sacré au nom d'intérêts financiers ou politiques ? Un roman qui aborde toutes ces questions, tout en parlant des techniques de restauration et du rôle des restaurateurs, techniciens ou artistes à part entière ?  Et la fin est décoiffante et inattendue (Ed Philippe Rey)

 

La rivale d'EE Schmitt : une ancienne cantatrice inconnue prétend qu'elle doit son manque de succès aux manigances de la Callas, un monstre sacré que l'auteur prend plaisir à égratigner à travers les propos d'une vieille dame aigrie. L'occasion aussi de débattre de ce qu'est l'opéra : occasion pour les chanteurs d'exhiber leurs compétences vocales ou interprétation des émotions des personnages de l'histoire. La fin du roman n'est pas dénuée d'ironie cynique (Editions Albin Michel)

 

Misericordia de Lidia Jorge : le journal d'une fin de vie en maison de repos. Une vieille dame enregistré les événements et son ressenti. C'est à la fois émouvant, drôle, ironique et poignant. La vie et la mort au quotidien, les rapports mère-fille, les relations avec le personnel, les intrigues amoureuses entre résidents. Un livre plein de vie à l'ombre de la mort,  personnage central de ce roman avec lequel la protagoniste dialogue. (Editions Metailli")

 

 

Le passager d'Amercoeur d'Armel Job : une intrigue policière et psychologique comme sait les concocter cet auteur liégeois qui n'a rien à envier à Simenon.  L'épouse de Maurice Modave est retrouvée morte au pied d'une falaise : accident, suicide ou meurtre ?  Secrets, mystères, relations toxiques et rumeurs, tout est réuni pour un roman qui nous emmène à travers les méandres de l'âme humaine (Editions Robert Laffont)

 

 


27/03/2024
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Le livre des soeurs d'Amélie Nothomb

Tous les ans, j’attends le dernier livre d’Amélie Nothomb. Cette année, j’étais impatiente de voir comment elle allait traiter des relations familiales et fraternelles dans Le livre des sœurs.  J’étais d’autant plus curieuse que j’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises sa sœur Juliette qui exprime sans se cacher l’amour et l’admiration qu’elle voue à Amélie sa cadette. « La meilleure chose qui me soit arrivée » m’a-t-elle déjà dit. On sent qu’entre Juliette et Amélie, la relation est fusionnelle, au-delà de l’amour et de l’amitié.

Dans Le livre des sœurs, Amélie décrit cette relation fusionnelle entre deux sœurs, Tristane l’aînée et Laetitia, la cadette. Déjà avec les prénoms, l’ambiance est donnée : si Laetitia évoque la joie, la liesse, le bonheur, Tristane a un prénom qui commence avec le T de tristesse et de terne.  Mais la joie de vivre dont fait preuve Laetitia, elle la doit à la terne et triste Tristane qui dès la naissance va entourer sa petite sœur d’un cocon d’amour et d’affection dont elle-même a toujours manqué et  qu’elle sait nécessaire pour le bien-être de sa cadette. Car ces deux fillettes sont deux enfants abandonnées par leurs parents. Il ne s’agit pas d’un véritable abandon, leurs parents sont là mais ils sont tellement occupés à se regarder l’un l’autre qu’ils ne regardent plus dans la direction de leurs deux filles qui sont de trop dans leur vie amoureuse. 

Amélie décrit sans complaisance des parents toxiques, une maltraitance psychologique au quotidien qui se manifeste non par de la violence physique ou verbale mais par de l’indifférence ou des mots au pouvoir négatif.

Un livre très dense, très riche, bref et incisif.   Comme d’habitude dans les livres d’Amélie Nothomb, le style est ciselé, il n’y a pas un mot de trop, mais on sent que chaque mot est choisi avec soin. Mais pourtant Amélie ne fait pas dans la dentelle, c’est avec la précision d’un médecin légiste qu’elle dissèque les relations familiales, pointant les éléments toxiques d'une plume aussi acérée qu’un scalpel avec son humour caustique qui manie le second et le troisième degré pour décrire les drames qui jalonnent la vie de ces sœurs,  du suicide raté au suicide réussi en passant par le suicide assisté maquillé en accident, l’anorexie, l’alcoolisme, et le tout sur fond de littérature et de musique rock.  

Et puis cela se termine en happy end, malgré tout, parce que les mots ont le pouvoir qu’on leur donne et lorsqu’on le leur enlève, la malédiction cesse.  L’amour des deux sœurs est plus fort que celui qui leur a donné naissance. Tristane et Laetitia se sauvent grâce à l’amour qu’elles se portent.  

Bref, comme souvent avec Amélie Nothomb, je n'ai pas été déçue, c'était un bon moment de lecture et un livre que je relirai. 

 


07/09/2022
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Le temps des mots (soigner les maux par les mots) de Patricia Duterne

Ceux qui ont déjà lu les œuvres de Patricia Duterne savent qu’elle aime plonger ses récits au cœur de l’enfance qu’elle aime conjuguer au passé.  Ce dernier livre ne fait pas exception à son thème favori. Mais ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’histoires pour enfant où le monde est beau, rose et gentil. L’enfance évoquée dans les romans de cette auteure rime souvent avec souffrance. Dans les jardins des romans de Patricia, les roses ont des épines qui blessent. On sent toujours dans ses récits, l’expérience de l’auteure en tant que psychologue de métier, qui a travaillé pendant plusieurs années avec des enfants aveugles et malvoyants.

 L’enfance des protagonistes de Patricia Duterne, au-delà des souvenirs agréables des jardins fleuris de contes de fées et de petits-déjeuners aux arômes de chocolat et de vanille est aussi une rivière dont les eaux d’apparence claire se troublent et deviennent boueuses dès lors qu’on remue la vase de souvenirs douloureux qui s’est déposée au fond. Il faut se méfier de l’eau qui dort car elle cache des monstres qui ne demandent qu’à surgir pour blesser encore celui qui les a fait disparaître. Mais il est nécessaire de savoir affronter ses monstres pour tenter de guérir de son enfance. C’est l’histoire d’Arnaud, un adulte, père de famille, devenu subitement veuf et dont le veuvage réveille une blessure profonde subie dans son enfance dont il n’a jamais guéri. Pour lui, et pour ses enfants blessés par la perte de leur mère, il décide d’écrire son histoire mots à maux dans une pièce de théâtre un peu spéciale.   Conjuguer son enfance au passé pour mettre des mots sur ses maux va lui permettre d’affronter les fantômes de son passé mais aussi ceux de sa défunte épouse.  Nous suivons la trajectoire d’Arnaud tout au long du roman pendant qu’il erre sous une pluie battante avant de se rendre au théâtre où doit se jouer la répétition générale de la pièce, avant la première. L’histoire respecte ainsi comme dans les tragédies antiques une sorte d’unité de lieu. Le récit d’Arnaud évolue en croisant un autre récit, tout comme les personnages de ce livre rencontrent ceux d’une œuvre précédente de Patricia Duterne, Le murmure du papillon, à qui elle offre ainsi une nouvelle vie. Mais même si je vous recommande vivement de lire aussi Le murmure du papillon, Le temps des mots se comprend sans devoir relire cet autre roman.

Le temps des mots par Patricia Duterne est édité par Ex Aequo, Collection blanche,

ISBN 979-10-388-0333-6

 

 


09/08/2022
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Les couleurs du hasard par Patricia Duterne (Editions Acrodacrolivres 2020)

Il est sorti juste au début de la pandémie et le confinement actuel empêche son auteur d'aller à la rencontre des lecteurs potentiels pour en faire la présentation. J'ai eu la chance de recevoir un exemplaire du dernier livre de Patricia Duterne, Les couleurs du hasard, publié chez Acrodacrolivres. J'avoue avoir été un peu déconcertée par ce roman un peu particulier évoluant autour d'un événement que tous les auteurs connaissent : un salon du livre. Décontenancée par le ton de ce roman que je n'aurais pas attribué à Patricia si je n'avais pas su qui l'avait écrit. Ses autres romans, Le murmure du papillon ou encore Au fil de soi étaient beaucoup plus "intimistes" plongeant au coeur de la psychologie des personnages centraux sur un ton tout en douceur. Dans ce roman, j'ai été épatée par la tonalité ironique, critique parfois acerbe et sans concession de tous les personnages créés et évoluant sous sa plume et sous le regard du narrateur qui les regarde de loin, de haut . Des dialogues, beaucoup de dialogues, des jeux de mots, des mots d'esprit, un tourbillon de personnages  issus d'univers les plus divers, auxquels on finit par s'attacher en dépit de leurs personnalités contrastées grâce à leurs histoires souvent tourmentées. Le portrait vire à la caricature parfois même au pamphlet pour les notables, les officiels, les politiques qui organisent l'événement littéraire qui permet la rencontre de tous ces auteurs et les fait évoluer sur le plan personnel.  Un livre étonnant, très bien écrit, car Patricia écrit très bien, qui nous fait découvrir une autre Patricia Duterne qui mérite d'être découverte. 

A lire donc : Les couleurs du hasard, Patricia Duterne, chez Acrodacrolivres

 


29/03/2020
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Les raisins de la colère (John Steinbeck) :

Ces derniers jours, j’ai relu Les raisins de la colère de John Steinbeck que j'avais lu voilà plusieurs années déjà. Pour ceux qui n’ont ni lu le livre, ni vu le film éponyme, ce roman raconte l’histoire d’une famille de paysans de l’Oklahoma, comme bon nombre d’autres des Grandes plaines, plongés dans la misère par la crise économique de 1929, la réduction des prix agricoles de 60% et le Dust Bowl (des tempêtes de poussières qui ont ravagé les Grandes plaines de 1933 à 1935 ) et qui sont chassés de leurs terres par les banques qui s’emparent de leurs biens fonciers. Cette famille avec des milliers d’autres part alors vers les Etats de l’Ouest, la riche Californie. Ils sont trois millions à avoir émigré par la Route 66 dans des conditions plus que pénibles où ils survivent en faisant preuve de solidarité. (Aujourd'hui on utilise le terme migrant : l'émigré vient de quelque part, l'immigré est arrivé d'ailleurs, le migrant on oublie d'où il vient et on ne lui permet d'arriver nulle part.)

Trois millions de paysans que les circonstances ont forcé à devenir nomades et qui tombent de Charybde en Scilla car leur exode aboutit à une situation encore plus misérable en raison de l’accueil ou plutôt du non-accueil qu’ils reçoivent de la part de la population des Etats où ils arrivent. Les campements misérables où ils s’installent à leur arrivée et dont les autorités locales n’ont de cesse de les déloger évoquent furieusement certaine « jungle » pas très loin de nos frontières. Et pourquoi ne suis-je pas étonnée de lire sous la plume de John Steinbeck, que les populations locales (nous dirions autochtones) face à ces paysans émigrés tiennent les mêmes propos que l’on entend à l’heure actuelle contre ceux que nous appelons actuellement migrants. « Ils sont sales, différents, profiteurs, paresseux, incapables, ne vivent pas comme nous, ne nous apportent que de la violence et des maladies, nous volent notre travail, et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » On ne peut qu’être frappés par le fait que la volonté de refuser l’autre utilise toujours les mêmes discours, les mêmes peurs et les mêmes préjugés.

 

 


27/02/2019
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Au fil de soi de Patricia Duterne

Olivia, à 50 ans, décide de s'installer dans une jolie maison à la campagne, loin de sa famille. Elle veut prouver à son entourage qu'elle est capable de vivre seule, de se prendre en charge, qu'elle n'est pas l'être fragile que sa mère et sa fille croient.  Olivia cherche aussi un endroit pour rassembler tous ses trésors, les objets qu'elle collectionne depuis qu'elle est enfant. Pour Olivia ces objets inanimés ont une âme, et elle leur parle comme à de véritables êtres vivants que ce soit une poupée ou  des chaussettes trouées. Une thésauromanie compulsive, pathologique (on peut évoquer le diagnostic de syllogomanie) car envisager de se séparer de ces objets est pour Olivia une source de souffrance  

Peu de temps après son installation à la campagne, on retrouve Olivia en état de choc sur le bord de la route. L'occasion de dérouler le fil de l'existence et du mal-être d'Olivia sur lequel elle évolue depuis l'enfance telle une funambule entre ses rêves d'enfant et la  réalité de la vie qu'elle ne sait pas appréhender, toujours au bord de l'abîme de la folie si proche.  Le coma d'Olivia durera trois jours au cours desquels ses proches vont nous parler d'elle pendant qu'elle lutte pour émerger et rejoindre le monde des vivants.

 

Un livre où j'ai retrouvé la sensibilité et la délicatesse d'écriture de Patricia Duterne qui m'avaient déjà plu dans Le murmure du papillon. Des personnages à fleur de peau qui restent accrochés à l'univers de leur enfance. Une enfance qui sous la plume de Patricia est toujours magique, peut-être trop magique, au point de devenir envoûtante et empêcher l'éclosion vers la maturité.  Psychologue de formation, Patricia sait pénétrer au coeur des âmes pour nous en révéler les méandres.

 

Un très beau roman, à découvrir absolument.

 

Au fil de soi, Patricia Duterne, Editions Acrodacrolivres 2018

 

 


07/02/2019
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Pile et face de Patricia Fontaine

Au début du roman, on rencontre Amelia qui vient d'être engagée comme aide-soignante dans une maison de repos de la périphérie bruxelloise. En réalité, Amelia s'appelle Clarisse qui cherche à changer de vie, pour fuir un passé douloureux et un personnage dangereux.  Rattrapée par son passé, Clarisse est contrainte de fuir la Belgique et se retrouve ainsi à Santiago du Chili. Elle y fait la connaissance de Marta, une chilienne qui a émigré en Belgique pour fuir la dictature de Pinochet. Marta retourne dans son pays après 42 ans d'exil.  Un élément commun réunit Clarisse et Marta : un homme, appelé La fouine brune. Clarisse l'a rencontré dans la maison de repos et c'est lui qui l'a aidée à fuir,  Marta a vu sa vie détruite par cet homme en 1973 lors du "golpe" .  Clarisse au cours de son séjour initiatique se retrouve à aller déterrer le secret de la Fouine avec l'aide de Marta.

L'auteur évoque sans concessions un  pan pénible, douloureux et non encore cicatrisé de l'histoire récente du Chili, donnant la parole aux victimes et livrant l'opinion du bourreau aux lecteurs. Il s'agit d'un roman mais dont on sent que l'auteur s'est bien documentée  à travers des témoignages recueillis en Belgique et au Chili et de voyages à Santiago et dans le désert de l'Atacama, ainsi que de romans et de films.  Les destins de Marta et Clarisse, ainsi que celui de la Fouine se croisent dans une intrigue assez  complexe mais bien ficelée au cours duquel ils  cherchent à se libérer de leur passé et à se reconstruire.

Un style qui sait transmettre des émotions et des mots justes, une très belle écriture, des personnages vrais,  une oeuvre forte, dense, qui fait oeuvre de mémoire un superbe roman par une auteur de grand talent à découvrir absolument.

 

Pile et Face, Patricia Fontaine, Editions Academia, 2018

 


06/02/2019
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Au bout des doigts... "de la musique avant toute chose"

De passage à la gare du Nord, Pierre, un homme que la vie a blessé, directeur du Conservatoire national supérieur de musique, est ébloui par la prestation de Mathieu, un jeune banlieusard, qui joue sur un piano en libre-service. Persuadé qu’il a découvert un génie de la musique, Pierre remet sa carte à Mathieu qui dans un premier temps se demande ce que ce bourgeois peut bien lui vouloir. Mais Mathieu, en plus de sa passion secrète pour la musique, a des fréquentations qui l’entraînent dans la spirale de la délinquance. Arrêté pour un cambriolage, Mathieu joue l’atout Pierre. Ce dernier lui évite la prison à condition que Mathieu vienne faire des Travaux d’intérêt général au Conservatoire. En fait, Pierre a des soucis professionnels et pour sauver sa place, il décide d’inscrire Mathieu comme candidat pour le Concours d’excellence. Un projet qui ne rencontre aucun soutien et qui suscite l’ironie de sa hiérarchie : Mathieu bien qu’ayant l’oreille musicale absolue n’a aucune formation musicale, il est incapable de déchiffrer une partition. Mais Pierre croit en lui plus que Mathieu ne croit en lui-même …

Un roman magnifique que la rencontre de cet homme et cet adolescent à qui la vie n’a fait aucun cadeau, une histoire pleine de suspens, de rebondissements avant le dénouement, qui nous révèle petit à petit le secret qui ronge Pierre, une histoire qui transporte le lecteur comme la musique présente à chaque page...  

 

Au bout des doigts, Gabriel Katz, Editions Fayard

 


31/01/2019
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La cage de Michel Beuvens : une pépite à découvrir

Que faire lorsqu'un médecin vous précise le temps qu'il vous reste à vivre ?  Le protagoniste de ce roman décide alors d'écrire un roman pour raconter comment il a vengé la mort de sa fille, mort qui l'avait enfermé dans la cage de la haine. Encore une histoire de vengeance me direz-vous ? Oui et non. En fait ce roman est une  réflexion  sur la mort : mort annoncée du personnage principal, mort prématurée  de la jeune fille à cause de laquelle la vie de notre héros a été brisée, mort en couches de la mère, et puis la mort organisée qu'il veut donner. Et une réflexion sur l'amour : amour de jeunesse qui n'a pu s'épanouir, amour d'un père pour sa fille, amour de fin de vie. En marge du récit, un dialogue du protagoniste avec sa correctrice à qui l'auteur donne de manière assez originale la parole en fin de roman pour compléter les non-dit qu'elle a pressentis tout au court de sa lecture.  Les personnages sont  attachants, sonnent "vrais".

Un roman qui parle de vie et de mort, d'amour et de haine, avec une grande sensibilité, sans jamais tomber dans aucun excès de sensiblerie, écrit de manière fluide dans un style qui a l'élégance de la sobriété. Un petit roman par la taille, qui se lit d'une traite parce que l'auteur sait gérer le suspens, un grand roman par le talent, la sincérité et la profondeur des sentiments exprimés.

 

La cage est le deuxième roman de Michel Beuvens, et j'attends avec impatience son prochain livre.

 

La cage, Michel Beuvens , Editions Ex Aequo, collection Blanche,

 

 


31/01/2019
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Une déception

J'ai acheté le livre La vraie vie d'Adeline Dieudonné au vu des critiques dithyrambiques à propos de ce roman. Mais  j'aurais  dû me méfier. Après l'avoir lu, je dois dire que j'ai vraiment beaucoup de mal à comprendre l'engouement qu'il a suscité.   Il se lit rapidement car il est bien écrit, le style est simple et fluide, le vocabulaire bien choisi. La forme est donc de bonne qualité. En revanche en ce qui concerne le fond,  j'ai envie de dire comme Talleyrand que tout ce qui est excessif est insignifiant. Et on est bien dans l'excès. Une famille des plus toxiques : un père violent et sadique, chasseur qui collectionne dans une pièce de la maison ses trophées de chasse, une mère tellement écrasée par la violence de son conjoint qu'elle en devient presqu'inconsistante au point que sa fille (la narratrice) l'appelle l'amibe, la fille (dont on ne connaît pas le nom) et son petit frère Gilles. Les deux enfants ont une relation particulièrement fusionnelle.  Bref un climat déjà malsain au début, mais curieusement ces deux enfants semblent s'accommoder de ce climat de violence domestique.  Et puis un siphon de crème fraîche qui explose entre les mains de leur glacier va faire perdre son sourire au petit Gilles qui trouve refuge auprès d'une hyène tuée par son père et conservée dans la chambre aux cadavres. Pour sauver Gilles, sa soeur décide de fabriquer une machine à remonter le temps pour revenir avant l'événement traumatisant. En fait ce livre ce résume  à un catalogue d'horreurs et de violences avec des déluges d'hémoglobine et un épisode d'un sadisme inouï  jusqu'au dénouement final prévisible mais qui est présenté comme un happy end, ce qui est assez aberrant d'un point de vue psychologique. Aucune lueur d'espoir, seule la violence est la réponse apportée par  l'auteur pour résoudre et sortir du cercle de la violence familiale. Un livre coup de poing lit-on sur la 4e de couverture, mais à quoi sert ce coup de poing ?

Bref, j'ose aller à contre-courant et dire  que je ne vois  rien de fort, ni de nouveau , ni de génial dans ce livre qui m'a profondément déçue.  Le sujet de la violence familiale mérite d'être traité de manière plus nuancée et plus  sensible, sans sombrer dans le spectaculaire  et  la  caricature.

 


30/01/2019
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La maison Golden de Salman Rushdie

Tout commence le jour de l'investiture de Barak Obama en 2008.

Un milliardaire en provenance de l'Inde, s'installe dans les "Jardins" de Greenwich Village, à New York, avec sa famille. Le milliardaire aux origines mystérieux s'appelle Neron et il a trois fils aux noms romains Petronyus dit Petya, Lucius Apuleius, dit Apu et Dionysos, dit D. Neron est un patriarche despotique,  Petya souffre d'agoraphobie, peut-être bien d'un syndrome d'Asperger, et il est passionné par l'informatique et les jeux video. Apu est un artiste tandis que Dionysos cherche son identité sexuelle. Une famille de nevrosés. Neron est en couple avec une jeune maîtresse russe, Vasilisa, une manipulatrice intrigante qui met au point un plan diabolique pour assouvir ces ambitions.  Cette famille va susciter la curiosité du voisinage et en particulier celle de René, jeune cinéaste d'origine belge, qui travaille à la création d'un long scénario qu'il va calquer sur la vie de la famille Golden. Neron va prendre René sous sa protection à la mort accidentelle des parents de ce dernier et Vasilisa se servir de lui pour sa machination. Voilà présentés les personnages de cette famille dorée et planté le décor de ce roman qui n'a rien à envier aux meilleures tragédies grecques. René va petit à petit découvrir pourquoi Neron a quitté l'Inde et vivre de près le destin de chaque membre de cette famille en déclin. La lecture est rendue compliquée par les multiples références littéraires, cinématographiques,  les événements de l'actualité, les théories identitaires   Mais l'intrigue est passionnante, pleine de suspens avec la participation de la mafia indienne et du terrorisme islamique... Une tragédie évoquant l'amour, la jalousie, la trahison et posant la question du mal et de savoir s'il est possible d'être bon et de trahir, écrite  avec ironie et humour,  et une fin tout à la fois dramatique avec l'arrivée au pouvoir américain d'un Joker aux cheveux teints jamais nommé mais que tout le monde reconnaîtra mais avec un happy end quand même.

 

 


27/01/2019
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De l'amie prodigieuse à l'enfant perdue : une histoire à n'en plus finir

Une quadrilogie qui raconte la saga de deux amies depuis la tendre enfance jusqu’à l’âge adulte.

Une amitié conflictuelle, ambivalente, profonde et superficielle, émouvante et agaçante, sombre et lumineuse. Le décor est celui de Naples, avec la misère et la promiscuité de ses bas-fonds, la camorra et la corruption. Lina est belle, intelligente et remplie de créativité mais rebelle et cynique. Elle exerce depuis l’enfance une véritable fascination sur Elena (Lenu) qui même lorsqu’elle devient une écrivaine célèbre qui a parcouru une bonne partie du monde continue à entretenir un sentiment d’infériorité par rapport à Lina qui de toute sa vie n’aura connu que Naples.

Mais Lina est pourtant jalouse de Lena, l'écrivaine à succès, qu'elle sait déstabiliser sans grandes difficultés. Chacune est pour l'autre l'amie prodigieuse qu'elle envie.

Il y a tout dans ce roman, et même un peu trop.

La famille, le mariage et les relations adultérines, les couples légitimes et les autres, les enfants désirés ou non et même disparus, l’homosexualité, la violence conjugale et la violence urbaine, l’exploitation ouvrière et le syndicalisme, l’univers estudiantin, le monde de l’édition, le féminisme, la drogue, la politique,  la maladie et la mort.

Il y a tout et son contraire, la pauvreté, la richesse, l'amitié et l'amour mais aussi la haine, la tendresse et le sexe, la promiscuité et la solitude, le succès et l'indifférence.

Autour des deux fillettes, jeunes filles, puis femmes gravite un grand nombre de personnages, trop de personnages, trop de familles qui s’aiment et se déchirent, trop de couples qui se font, se séparent, se retrouvent, s'échangent. 

Et l’histoire de nos deux amies et de leur entourage, évolue sur fond de l’Histoire de l’Italie, de l’après guerre à l’opération mani pulite de la fin du XXe siècle en passant par les années noires du terrorisme.

On se dit que l’auteur aurait pu faire plus court, c’est parfois redondant comme l’est la vie lorsque l’on répète les mêmes erreurs, les mêmes conflits, les mêmes rapprochements. Une histoire fascinante mais parfois lassante comme peut l’être la vie, lorsqu’on attend quelque chose qui ne vient pas, qui ne viendra plus.  

Une histoire lassante et lourde comme les combats menés par Lila et Lenu pour sortir de leur condition, pour se défaire de liens qui semblent inextricables.

Les quatre romans de la série L’amie prodigieuse me font penser à des films comme Ci siamo tanto amati ou encore La meglio gioventu, description tout à la fois sans concession et indulgente de la vie italienne.

Le style est inimitable et incomparable même en version traduite. Peut-être me faudrait-il la relire en version originale... mais je ne sais pas si je trouverai le courage de me replonger dans cette saga, car il y manque un élément : pas une seule note d'humour n'éclaire cette saga, Lenu et Lina ne nous donnent jamais l'occasion de rire ni de sourire, le ton reste pesant et on referme le livre avec un goût amer en bouche, celui de toutes les vies gâchées, des espoirs d'enfant irrémédiablement perdus, même lorsque Lenu retrouve un souvenir de son enfance.

 

D'Elena Ferrante :

L'amie prodigieuse

Un nouveau nom

Celle qui part et celle qui reste

L'enfant perdue

 

 


29/05/2018
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La posologie des sentiments : un excellent roman de Michel Beuvens

Loin des thrillers et romans fantastiques, un roman pourtant fantastique et qui vous donne le frisson par la profondeur des sentiments que l'auteur y exprime dans une posologie graduelle. Le roman commence dans l'univers terne et sans âme d'une administration où règne la routine d'un travail qui ne demande aucune âme et ne permet d'exprimer aucun sentiment hormis l'ennui, la lassitude et qui n'offre de positif qu'une certaine stabilité d'emploi.  Lucien qui vient d'y être engagé observe les membres du personnel dont l'un devient son ami.  La vie de Lucien et son ami est aussi terne que son emploi, il est seul, il fantasme sagement sur les femmes qu'il croise dans son boulot, toutes sauf une dont le comportement et l'aspect physique n'ont rien de désirables, la caricature de la vieille fille aigrie et acariâtre, surnommée la vieille taupe.  La vie routinière de Lucien connaît toutefois un virage grâce à une promotion, une mutation mais aussi un héritage. Grâce à cet héritage, il retrouve un jour au bord de la mer la vieille taupe et le secret de cette dernière... et comme à Saül sur le chemin de Damas, les écailles des préjugés tombent des yeux de Lucien qui  apprend la nécessité d'aller vers ses semblables pour les découvrir au-delà des apparences. Grâce à la vieille taupe, Lucien trouve enfin un sens à son existence. Un très beau roman, puissant, qui aborde la vie, la mort, l'amour, les sentiments, les vrais, les faux, sur fond de ciel marin avec le chant des vagues et l'odeur iodée de la mer.  Si on en faisait un film on le commencerait en mode muet et en noir et blanc et puis progressivement la couleur et la musique s'imposeraient. Un livre rédigé dans un style classique, simple et efficace, et une écriture fluide, sans chercher à éblouir le lecteur par des effets de plumes,   à découvrir pour ceux qui aiment se plonger dans les profondeurs de l'âme humaine.

 

La posologie des sentiments de Michel Beuvens (Editions Chloé des Lys)

 


11/05/2018
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