Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Tranches de vie


Ceci n'est pas un conte de Noël

Le cinéma déroule son tapis rouge pour accueillir les spectateurs. Il fait glacial, les gens se pressent pour rentrer dans le bâtiment. Assis sur les dalles de béton devant l'entrée, un homme encore jeune est assis, à côté de quelques sacs contenant ses biens et devant lui un bol où les moins indifférents glissent quelques pièces. L'homme serre un chien dans ses bras, ils se réchauffent mutuellement. Je m'arrête, je m'accroupis et je lui adresse quelques mots en caressant le chien. Le chien me regarde avec cet air de reproche comme seuls savent le faire les chiens. L'homme me parle en gardant les yeux baissés vers le sol. Non, il ne veut pas se rendre dans un abri. A cause du chien, il a peur qu'on ne mette son chien dans une cage pas assez grande pour lui. Il dormira dans un coin du parking, il a l'habitude. Il me remercie, (mais de quoi ? des quelques mots échangés ou du billet que je glisse dans ses doigts glacés ?) Le film ne me plaît pas. A la sortie, il est toujours au même endroit. J'ai hâte de rentrer pour retrouver le numéro d'appel du dispositif d'urgence sociale. J'espère qu'il sera encore là quand la personne qui m'a promis d'aller à sa recherche le trouvera. J'espère qu'il acceptera de la suivre. Les chiens sont acceptés m'a dit la dame, s'ils sont pucés et vaccinés. Je n'ai pas parlé de la cage pour le chien. 

 

 


26/12/2018
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Premier rendez-vous

Avril est là, elle aime avril, elle aime le printemps cette saison où tout est espoir de vie jaillissante.

Et c’est le printemps de son futur métier : son tout premier stage en milieu hospitalier.

Oh ! rien d’important, deux semaines à évoluer dans un service de médecine interne en simple observatrice. Mais elle est tout enthousiaste à l’idée d’aborder les malades en vrai, en dehors des livres.

 Parmi « ses »  premiers patients, un monsieur de 70 ans, très sympathique mais pas content du tout d'être hospitalisé.

-          Mon médecin traitant m’y a forcé pour faire des examens mais je ne vais pas traîner ici moi. J’ai mon jardin qui m’attend. et il faut profiter du beau temps

Et il parle de ses semis, ses fleurs, son verger.

Justement c’est en bêchant qu’il a eu un malaise, même pas perdu connaissance. Et rien que pour cela on l’hospitalise. Il est indigné ce vieux monsieur et il affirme haut et fort qu’il ne va pas traîner dans cet hôpital quand le printemps l’invite à travailler dans son jardin. Il se sent bien, il n’a plus rien, ce sont bien là des idées de médecin et d’épouse angoissée que  de s’inquiéter pour un coup de fatigue. Et tous ces examens qu’on lui fait passer.  « Mais c’est pour mieux pouvoir vous soigner et vous pourrez ensuite  retourner cultiver votre jardin. » C’est du moins ce qu’elle lui raconte pour l’apaiser et elle y croit, c’est bien pour cela qu’elle veut devenir médecin pour guérir les gens et leur permettre de vivre bien et longtemps. Il rit le jardinier : « Vous êtes bien jeune et bien naïve, quand c’est l’heure c’est l’heure, et c’est pas vos examens qui changeront ça ! »

Quelques heures plus tard le jardinier se met à vomir du sang.

Tous les membres du service se précipitent dans la chambre. C’est le branle-bas de combat : on place des voies d’entrées pour  perfusions, on court  commander du sang, on prévient la salle de soins intensifs, On s’apprête à le transférer en unité de soins intensifs lorsque soudain le patient après un nouveau vomissement s’effondre inconscient. Il est en arrêt cardiaque.

Elle assiste alors pour  la première fois à une  réanimation cardiopulmonaire. « Son » patient se vider littéralement, devant elle! Le  jardinier prend un teint de plus en plus cireux, elle est d’autant plus  horrifiée qu’elle a juste le droit de regarder, spectatrice impuissante et inutile.

Elle n’avait jamais vu mourir quelqu’un, et là, c’est un spectacle de première avec un patient gisant dans des draps rougis au milieu d’une animation indescriptible et dans une odeur écoeurante ! La réanimation échoue. Elle entend de loin les médecins qui discutent entre eux :  « Une rupture de varices œsophagiennes…d’ailleurs la biologie montrait  tous les signes de cirrhose. Sa femme nous a bien dit qu’il buvait »  Cette discussion médicale la laisse indifférente. Elle reste là debout au pied du lit à contempler le corps sans vie de ce jardinier  qui hier encore parlait de la vie de ses fleurs.

La chambre se vide, les infirmières s’affairent à ramasser le désordre ambiant.

L’assistante l’appelle : « Viens vite, tu n’auras jamais une occasion aussi belle »

Elle  sursaute : «L’occasion de quoi ? »« D’apprendre à intuber, voyons. Allez, avant qu’on emporte le corps. » Elle regarde la jeune femme,  éberluée : comment peut-elle ?

Indignée, et prise d’une nausée, elle quitte la chambre en sanglotant. L’assistante l’a suivie :

« Dis, si tu as peur du sang ou de la mort, tu ferais mieux de changer de métier ».

Elle est bouleversée  de voir que ce jardinier pour qui elle s’était prise de sympathie non seulement est mort de manière épouvantable mais  ne représente plus pour sa future consœur qu’un mannequin dont on va se servir pour lui apprendre à intuber un patient.

Mais elle renonce à expliquer….

« Bon tu viens dîner ? » Dîner ?  Elle  remarque alors les chariots repas qui  circulent dans les couloirs. Dehors il fait ciel bleu et soleil. Bien sûr, il est seulement midi. Pendant toute cette tentative de réanimation, elle s’est crue en pleine nuit !

Dans le service, les infirmières reprennent leurs allées et venues et des chambres voisines on entend les conversations des  malades.

Un homme vient de mourir et rien n’a changé. Le jardinier ne verrapas lever ses semis, ni éclore ses fleurs et ne goûtera plus aux fruits de son verger. La vie continuait sans lui.

En face d’elle, à table, les autres rient et mangent comme si rien ne s’était passé.

Personne ne s’inquiète des émotions de la petite stagiaire qui vient de vivre son premier rendez-vous avec la mort. 


04/03/2013
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