Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Un douloureux parcours avec un hôte indésirable : Julia de Carine Geerts

Cela fait maintenant plus d’un an que j’ai découvert Carine Geerts et j’ai eu l’occasion de lire déjà trois des nombreux romans qu’elle a rédigés.  Son style fluide et simple est très agréable. La trame de ses récits est construite de manière rigoureuse.  Ses personnages sonnent toujours vrai, ses décors sont peints de telle sorte qu’on n’a aucun mal à se les représenter.  Lorsque Carine aborde un thème scientifique, c’est en termes précis et techniques qui prouvent qu’elle sait de quoi elle parle, d’autant qu’elle n’a pas peur de fournir des explications claires et détaillées dans plusieurs domaines très différents.

Son dernier roman, Julia n’échappe pas à cette rigueur dans la construction narrative et dans la description.

Avant tout témoignage d’un vécu personnel, Julia raconte le douloureux parcours d’une femme qui se découvre soudain habitée par un cancer du sein. Tout est raconté et décrit avec beaucoup de minutie et une grande précision technique  : la découverte fortuite de la boule dans le sein sous la douche, les différentes étapes du diagnostic depuis la mammographie jusqu’à l’IRM en passant par la biopsie tru cut et les détails de la prise de sang, chaque consultation médicale, les décisions thérapeutiques, (tumorectomie, chimiothérapie, radiothérapie)  et l’annonce de la rémission finale. Carine y publie des fac-simile des protocoles de mammographie, celui des biopsies, la liste des effets secondaires des traitements subis.  Ce livre mériterait d’être donné à toute femme chez qui on diagnostique un cancer du sein, tant il est riche en informations.

Mais ce roman ne se limite évidemment  pas à la simple évocation clinique d’un cas de cancer du sein. L’intérêt principal du livre et son objectif résident dans  l’évocation intime de toutes les émotions et les souffrances vécues  par cette femme aussi intelligente que belle dans son long voyage à travers la maladie,  le déni, les doutes, la peur, l’angoisse, la révolte, les larmes, la volonté de lutter malgré les forces qui déclinent, la foi en l'avenir.  Heureusement pour Julia, elle n’est pas seule pour affronter cette terrible épreuve. Martin, un amour de jeunesse inopinément réapparu dans la vie de Julia au moment le plus opportun, va mettre tout en œuvre pour l’aider avec son amour et sa tendresse jusqu’au moment où Julia peut reprendre le cours normal de sa vie.

La sensibilité des deux protagonistes, la chaleur de leur relation, les beaux décors naturels où ils vont se ressourcer soulignent d’autant mieux la froide technicité médicale, les décors blancs et aseptisés de l’univers hospitalier. Les gestes de tendresse contrastent avec les gestes médicaux invasifs,  tandis que la description de la lueur des flammes d’un feu de bois et la lumière des soleils couchants s’oppose à celle de l’éclairage blanc sans nuances et sans ombre des scialytiques.

En tant que médecin, je me sens interpellée à plus d’un titre. Pas par la vision d’un milieu médical hyper technicisé, celui-là il est quand même nécessaire et sans lui Julia n’aurait pas pu raconter son histoire. On ne guérit pas les cancers par l’imposition des mains et si la médecine  a progressé, c'est grâce aux progrès de la chimie, de la physique et de la technologie, des sciences exactes, des sciences dures qui ont peut-être contribué à déshumaniser quelque peu les soins.  Les médecins décrits par Carine ne sont pas inhumains mais aucun d’eux ne prend jamais la peine d’écouter vraiment Julia, d'aborder avec elle ses angoisses, ses doutes, sa souffrance morale. Sans Martin pour s’occuper de ses états d’âme, Julia serait bien seule et aurait pu sombrer dans le désespoir car si on répond à ses questions techniques, sa souffrance morale semble ignorée. Et entre le diagnostic et l’intervention chirurgicale, deux longs mois s’écoulent, et c’est long deux mois d’angoisse et d’incertitudes. Je n'aime pas trop ce vieux gynécologue au comportement paternaliste, dont les propos faussement rassurants me semblent surtout émis pour se rassurer lui-même. On dirait qu’il a peur du diagnostic qu’il pourrait trouver et son discours n’est jamais franc, suscitant de faux espoirs.  Il y a le chirurgien, qui a un discours de chirurgien, précis, pragmatique, rassurant certes, mais peut-être pas très empathique. Tiens, clin d’œil à Carine : rien que des hommes parmi les médecins ? Non, j’oubliais la radiologue, qui travaille encore en argentique en 2014, ce qui est assez surprenant.  

Mais pendant toute la lecture de Julia, que j’ai lu d’une traite, j’éprouvais une curieuse sensation, comme un malaise, non pas à cause de ce qui était décrit mais par ce qui ne s’y trouvait pas. Dans cette histoire, il y a un personnage que j’aurais aimé voir apparaître et qui ne s'y trouve pas. Julia n’a pas de médecin généraliste, ce médecin dit de proximité.  Lorsque Julia découvre son problème, elle consulte directement son gynécologue avant d’être phagocytée par les spécialistes hospitaliers.  Cela est assez représentatif de la manière dont les gens abordent le milieu médical : par la médecine spécialisée.  Cet acteur de soin qu’est la/le généraliste fait cruellement défaut dans ce roman, pourtant palper un sein et prescrire une mammographie sont tout à fait de son ressort, tout comme annoncer le résultat, tout comme accompagner le patient. Voilà un personnage qui aurait pu peut-être humaniser un peu ce milieu médical par le rôle d’accompagnement qui lui est en principe dévolu.  (

Néanmoins malgré cette remarque qui est un constat (effectué par une généraliste pour laquelle l'hospitalocentrisme est un sujet sensible) et non une critique négative, j’ai apprécié ce livre qui m’a beaucoup touchée.

 

Julia, par Carine Geerts (Editions Brumerge, 2015)

 



15/03/2016
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