Les risques du métier(article paru dans le Journal du médecin du 28/04/2017)
Les risques du métier (article paru dans le Journal du médecin du 28/04/2017)
Le Conseil de l’Ordre des médecins nous invite à participer à une enquête intitulée « La violence à l’encontre des médecins au sein de la relation médecin-patient ».
Cette enquête a pour but de recueillir des informations quant à la prévalence des types de violences à l’égard des médecins (…)
Un questionnaire entièrement et correctement rempli vous donnera un point d’accréditation en Éthique et Économie. »
En lisant la communication de l’Ordre des médecins, je n’ai pu manquer de me sentir interpellée
par le fait que répondre à ce questionnaire permet de gagner un point d’accréditation.
Le Conseil de l’ordre suppose donc que notre sécurité nous est tellement indifférente qu’il faille nous motiver par des points d’accréditation
pour répondre à leur questionnaire.
Cette initiative prouve en tout cas la volonté d’une de nos instances supérieures de prendre au sérieux notre sécurité au travail.
Il est temps enfin de reconnaître que nous généralistes pratiquons un métier à risque : violences verbales, menaces, intimidations,
coups et blessures, violences sexuelles et même meurtres, comme celui dont a été victime notre regretté confrère Patrick Roelandt.
Des mesures de précaution sont-elles cependant vraiment possibles ?
Nous pratiquons une profession dont la pierre angulaire est une relation de confiance entre deux personnes.
Or, qui dit vigilance implique aussi méfiance. Par exemple, lever le secret concernant le casier judiciaire d’un patient est une mesure certes utile d’un point de vue sécuritaire,
mais ne risque-t-elle pas de nuire à la qualité des soins en modifiant, fut-ce inconsciemment, le regard que nous porterons sur ces patients ?
Et lorsque nous saurons que tel patient est un repris de justice potentiellement dangereux, quelle suite faudra-t-il donner à cette information ?
Se faire accompagner d’un policier au cours d’une visite à domicile le concernant ? Porter un gilet pare-balle, suivre des cours d’autodéfense (éventuellement accrédités) ?
Lors des déplacements en garde de nuit, en ce qui concerne notre rôle de garde, nous avons le privilège d’être accompagnés d’un chauffeur
qui a mission d’entrer avec nous au domicile du patient.
Certes, les déplacements sont rendus plus agréables par la présence réconfortante de ces auxiliaires au demeurant très sympathiques.
On peut s’interroger toutefois quant à l’atteinte à la confidentialité que constitue leur présence.
Ils savent se faire discrets, restent souvent dans la pièce voisine ou dans le hall et je ne mets pas en doute leur capacité à taire ce qu’ils ont surpris de la consultation.
Mais d’une part, ils ne sont pas armés, et d’autre part leur présence serait-elle vraiment dissuasive pour un forcené armé et
ne courraient-ils pas autant de risques que nous s’ils cherchaient à s’interposer ?
Par ailleurs, nous ne disposons d’un chauffeur que pour le service de nuit, en journée, nous restons livrés à nous-mêmes.
Si nous sommes peut-être statistiquement plus à risque de subir une agression la nuit, elles ne sont pas exclues pendant le jour…
même de la part de patients que nous connaissons pourtant bien.
Au cabinet, nous bénéficions de plus de sécurité : bip d’appel personnel, système de télévigilance et caméras de surveillance, la technologie nous assure une protection relative.
Relative, car même si elle peut avoir un effet dissuasif, elle ne nous met pas à l’abri d’un mauvais coup.
Au-delà des moyens de protection tels que système d’alarme, chauffeurs, et autodéfense, au-delà de la déclaration de toutes les agressions que nous subissons,
nous pouvons aussi nous former à la gestion des conflits pour désamorcer toutes les situations susceptibles de déraper en occasion de violences verbales et de manque de respect.
Tiens, respect : voilà le mot-clef qui arrive.
Notre profession est victime d’un manque de respect de plus en plus flagrant non seulement de la part de certains patients, mais aussi de la part de nos dirigeants.
Comment voulez-vous que les gens aient de la considération et du respect pour une profession aussi décriée que la nôtre ?
On n’arrête pas de renvoyer de nous, non l’image de personnes qui consacrent leur temps et leur vie (parfois au sens propre) pour aider et soulager les patients,
mais le plus souvent celle de gens qui prescrivent trop ou trop peu et de toute façon toujours mal, qui dépensent sans réfléchir l’argent de la sécurité sociale,
qui font trop de certificats à mauvais escient, que l’on doit contrôler en permanence, qui doivent toujours se justifier
et à qui il faut régulièrement rappeler comment ils doivent faire leur métier …
Nous nous adressons aux pouvoirs publics pour qu’ils prennent des mesures pour limiter la violence dont certains d’entre nous sont victimes
alors même que nos instances dirigeantes nous font violence tous les jours.
Et enfin si nous nous respections plus et mieux d’abord nous-mêmes ?
Pourquoi notre profession ne pose-t-elle aucun geste fort lorsqu’un l’un des nôtres se fait trucider ?
Pourquoi n’y a-t-il eu aucun mot d’ordre de grève, même brève, aucune marche blanche ni manifestation publique de solidarité
(autre que l’invitation à faire nos consultations avec un brassard noir) lorsque par exemple notre confrère Patrick Roelandt s’est fait égorger par un patient ?
On critique les chauffeurs de TEC qui débraient au moindre pet de canard, mais au moins font-ils preuve de solidarité et expriment-ils ainsi leur volonté d’être mieux considérés.
Nous, médecins ne bougeons pas, jamais ou trop peu, quelques réactions sur les forums médicaux, dans nos journaux professionnels pour dénoncer les pouvoirs publics qui ne font rien
et puis c’est tout, l’indignation retombe comme un mauvais soufflé.
Nous acceptons dans l’indifférence que notre profession devienne un métier à risque.
L’Ordre des médecins l’a bien compris d’ailleurs puisqu’il pense que pour nous motiver à répondre à son enquête, il doit nous offrir des points d’accréditation…
L'indifférence à notre propre égard n’est-elle pas finalement la cause la plus violente de toutes les agressions que nous subissons ?
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