Propres oui mais pas stériles...
Hygiène
Point trop n’en faut!
Avec la découverte des microbes depuis le XIXe siècle, la notion de propreté a radicalement changé. Nous sommes tous les enfants de Pasteur, qui ne se lavent plus simplement pour effacer la saleté apparente mais aussi pour combattre la saleté invisible que représentent ces germes susceptibles de nous infecter. Est-ce un progrès? C'est relatif…
Elide Montesi
Il suffit de regarder les publicités télévisées pour voir à quel point détruire ces microbes qui nous « menacent » est devenu un des objectifs des vendeurs de produits d’entretien. Et chaque fois qu'une menace d'épidémie se pointe, on voit surgir en même temps des recommandations quasi paranoïaques sur la manière de se conduire pour éviter d'entrer en contact ou de diffuser le germe responsable. Au grand bénéfice des producteurs de produits antibactériens qui voient leurs ventes grimper en flèche…
Certes l’amélioration des conditions d’hygiène a été un progrès notable, qui a diminué la mortalité d’origine infectieuse. On aurait tort de se plaindre de l’efficacité des vaccins et antibiotiques grâce auxquels nous n’avons plus à redouter la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la variole, les méningites ou pneumonies. Et on ne peut que se féliciter de la réduction drastique de la mortalité après les interventions chirurgicales ou les accouchements grâce à des mesures d’asepsie et de désinfection rigoureuses. Trop de gens de par le monde meurent encore de choléra ou de dysenterie suite à l’absence de latrines et d’évacuation des eaux contaminées. Nous sommes donc loin de déplorer la mise en œuvre de conditions d’hygiène toujours meilleures.
La résistance s’organise
Mais quand même: la guerre totale aux microbes est-elle vraiment pertinente ? Ces microbes qui nous entourent n’ont-ils donc été créés que pour nous nuire ? S’il existe des bactéries agressives et nuisibles pour les êtres humains, d’autres ne le deviennent que dans certaines circonstances et une grande majorité d’entre elles sont des occupantes plutôt utiles à notre organisme. Notre corps contient en effet plus de cellules bactériennes que de cellules spécifiquement humaines ! Et loin d’être des parasites, elles collaborent et participent activement au bon fonctionnement de notre organisme. D'ailleurs certains éléments essentiels de nos cellules, les mitochondries, ne sont autres que des bactéries qui ont prêté à la cellule animale leur capacité d’utiliser l’oxygène pour transformer le glucose en énergie, propriété sans laquelle nous ne pourrions pas survivre et qui à l’origine ne faisait pas partie de notre programme cellulaire.
100 000 milliards de bactéries de 400 espèces diverses sont présentes dans nos intestins : certaines participent aux mécanismes de digestion et à la production de certaines vitamines essentielles comme la vitamine K ou les vitamines B ; d’autres protègent notre système cardiovasculaire en dégradant le cholestérol absorbé en excès. De même le biofilm bactérien à la surface de notre peau participe au rôle de protection et d’échanges de cette dernière. Et enfin, le contact régulier avec les bactéries du milieu extérieur maintient en quelque sorte l’entraînement de notre système immunitaire.
Après plusieurs années d’expérience, on sait à l’heure actuelle que l’utilisation abusive d’antibiotiques – surtout pour ceux à large spectre – contribue au développement de souches bactériennes de plus en plus résistantes, comme le redoutable et redouté MRSA, terreur des milieux hospitaliers. En détruisant la flore bactérienne normale de nos intestins, les antibiotiques sont susceptibles de favoriser le développement de germes opportunistes comme par exemple le clostridium difficile, responsable de diarrhées difficiles à guérir, récidivantes et aux complications sévères (inflammation intestinale chronique, perforation intestinale, péritonite). Dans le même ordre d'idées, une hygiène intime trop poussée, en éliminant les hôtes naturels du vagin, permet l’apparition de mycoses ou de vaginites à gardnerella.
On peut légitimement penser que plus un endroit est aseptisé et donc hostile aux microbes, plus ceux qui réussiront à s’y installer seront résistants aux mesures de désinfection. Les infections hospitalières multi-résistantes sont peut-être autant la conséquence des mesures d’hygiène rigoureuses qui y sont prises que de l’usage des antibiotiques. Signalons au passage que les vaccins ne tuent pas les germes et n’empêchent pas la confrontation de notre organisme avec ceux-ci, que du contraire: ils favorisent une reconnaissance plus rapide des germes agresseurs grâce aux anticorps dont ils ont stimulé la fabrication lors de leur injection. Ce n’est d'ailleurs que par la vaccination qu'on peut espérer faire disparaître un agent infectieux, pour autant que la couverture vaccinale soit maximale et que l’homme soit son seul réservoir.
Le prix de l’excès d’hygiène
La résistance des agents infectieux n’est pas le seul problème posé par le fait de vivre dans un environnement de plus en plus aseptisé. On observe en effet aussi une relation inverse entre les conditions d’hygiène d’une part et la fréquence des allergies et des maladies auto-immunes. L’allergie est une réaction immunitaire inappropriée vis-à-vis d'un agent externe en principe inoffensif. Selon certains auteurs, aseptiser le milieu où l’on vit empêcherait le développement de la tolérance de l’organisme pour toute une série de substances, qui de ce fait deviendraient allergisantes. Cet "apprentissage de la tolérance" est nécessaire pour éviter que notre système immunitaire ne réagisse pour un oui pour un non; il s'acquiert par un long processus de maturation qui prendrait cours déjà avant la naissance. Une étude a pu ainsi constater que des femmes enceintes vivant en milieu fermier, au contact d’animaux, avaient des enfants développant moins d’allergies. Cet effet protecteur serait cependant modulé par différents éléments dont des facteurs génétiques. Par ailleurs, les enfants vivant dès leur plus jeune âge en promiscuité avec d’autres enfants (familles nombreuses, crèches, garderie) – donc dans un « bain de microbes » – font certes plus d’infections respiratoires bénignes de type rhumes ou pharyngites mais souffriraient moins de rhume des foins ou d’asthme. Une différence entre les enfants allergiques et non allergiques consisterait en un biotope intestinal moins diversifié chez l’enfant allergique. Certains pensent que les méthodes d’hygiène autour de la naissance – désinfection maternelle, administration d’antibiotiques aux nourrissons – si elles diminuent le risque d’infections néonatales, perturberaient cette maturation du système immunitaire.
Notre biotope microbien (flore intestinale, biofilm cutané, flore génitale) aurait en fait pour rôle d’éduquer notre système immunitaire, et toute altération ou diminution de ce microbiotope pourrait favoriser la stimulation inappropriée des cellules immunitaires autoréactives productrices d’autoanticorps. Ceci pourrait expliquer la plus grande fréquence des maladies auto-immunes dans les régions où les maladies infectieuses sont moins fréquentes et moins graves, …c'est-à-dire notre monde occidental « hyper-civilisé ».
Propre, pas stérile !
Certaines études vont plus loin comme celle qui tend à démontrer que la vie dans un environnement ultra-propre pendant l’enfance augmenterait le risque cardiovasculaire à l’âge adulte. Et plus fort encore, le lien assez surprenant entre dépression et excès d’hygiène : chez certaines personnes, l’absence de contact avec certains germes se traduirait par une diminution de sécrétion de sérotonine, hormone cérébrale dont on connaît le rôle dans le maintien de l’humeur.
Ces constatations nécessitent certes des recherches plus approfondies car de nombreux facteurs peuvent entrer en ligne de compte. On sera d’autant plus prudent que le marketing des probiotiques se saisit de la moindre hypothèse pour en faire une certitude… Mais ces arguments viennent aussi appuyer le slogan selon lequel "les antibiotiques, c’est pas automatique".
Tout ce qui précède ne remet évidemment pas en question les règles fondamentales d’hygiène : se laver les mains avant de passer à table, après être allé aux toilettes ou avoir travaillé ou joué au jardin, de même que des douches ou des bains réguliers, ou le brossage dentaire restent des must qui ne nuisent pas à la santé, que du contraire. Mais déjà l’usage de savons ou de gels antibactériens est nettement plus discutable. De même que s’il est agréable de vivre dans une maison propre, les locaux de vie n’ont pas à être transformés en chambres stériles …
(publié dans le magazine Equilibre)
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